Le FigaroCoup de coeur de la semaine
Force et élégance. Tels sont les deux piliers de cet enregistrement des Saisons de Tchaïkovski, version musique de chambre, tout juste paru en format exclusivement numérique, chez Fuga Libera. Un enregistrement double, puisque le trio Zadig a décidé - magie du virtuel - d'en proposer deux versions : l'une, purement musicale. L'autre, entrelardée de lectures à voix nue de poèmes russes évoquant les différentes saisons.
Déjà narratif par essence, le célèbre cycle de Tchaïkovski, suivant les douze mois de l'année, composé au départ pour le piano mais auquel l'arrangement pour trio avec piano réalisé par le compositeur Alexandre Goedicke confère une ineffable poésie, se prête assez bien à l'idée du texte. Mais ce qui fonctionne sans doute merveilleusement sur scène semble moins convaincant en studio. D'autant que la brièveté des poèmes choisis ne permet pas, à mon sens, de rentrer suffisamment dans le récit du Sociétaire du Français Stéphane Varupenne. J'ai donc préféré laisser de côté cette version «dialoguée» pour me concentrer sur la seule tirade des instruments. D'autant que ces derniers ont déjà face à eux une partition hautement contrastée, à laquelle leur grande palette de couleurs rend pleinement justice.
On est ainsi saisi par l'énergie folle qui nous fait rentrer dans le mois de février, après une fin janvier toute en souplesse, en grâce et en lignes aériennes. La puissance de ces accords à la verticalité parfaite, d'où jaillissent bientôt des vocalises d'une diabolique virtuosité, en dit long sur la complicité qui unit ces trois jeunes artistes. Mais si l'ensemble s'est justement fait connaître depuis deux saisons grâce à sa fougue et sa vitalité, c'est dans les mouvements les plus nostalgiques et mélancoliques (dieu sait que ce cycle n'en manque pas) que l'on se laisse vraiment cueillir. Mars, avec son atmosphère pluvieuse et ses harmonies ombrageuses en est un bon exemple. S'il est un autre mois qui à lui seul justifie l'écoute de cet enregistrement, et le succès bien mérité des Zadig, c'est sans conteste octobre. Écoutez cette subtile inflexion de tempo, dès la vingtième seconde, du violoniste Boris Borgolotto. En une hésitation, tout est dit. Les trois amis ne jouent pas, ils chantent. Voyez comme des pleurs du violoncelle de Marc Girard Garcia naît, à 2'40, cette ligne obsédante et fantomatique du piano. Comme une réminiscence de bonheur à la lumière fragile, sublimée par le jeu d'une incroyable douceur de l'américain Ian Barber.
Parfois, toute la force d'une interprétation réside dans sa fragilité. C'est le cas ici.
Mon coup de cœur de la semaine.
- Thierry Hillériteau