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Avec Asfar, Benjamin Attahir nous assène une partition de plus de 16mn, riche en coupes et syncopes alla Chostakovitch, rythmes nerveux, fouettés, menés tambour battant, sans guère de pause jusqu’à 7’50 : virée en enfer, ou chevauchée folle qui à10’30 atténue sa course effrénée et recherche en suspensions incertaines, un nouveau souffle. La traversée se fait alors plus intérieure et presque hallucinée entre deux mondes. Avant la reprise du motif initial qui prépare la fin, plus tendue et ivre, syncopée comme une mécanique endiablée, machine en déroute qui s’est bloquée en mode panique… jusqu’à son dernier rictus un rien grimaçant.
Le compositeur, aujourd'hui en résidence à l’Orchestre National de Lille, ne manque pas de tempérament, interrogeant le sens d’un développement formel sur le plan d’une tension, et sa détente où la question du sens et de la direction s’embrase littéralement. Mis en perspective avec le choix du visuel de couverture, nous sommes bien là dans l’esprit d’un road trip, traversée vertigineuse et intérieure sur la route, avec comme seul cap et repères, la ligne jaune ou blanche et les feux des voitures dans le rétro. Cela file à toute allure, en une nuit qui vacille et déroute.
On ne saurait trop souligner avec quelle délicatesse et profondeur le Trio aborde la pièce maîtresse de Ravel (Trio en la, écrit à Saint-Jean de Luz, 1914), sommet chambriste du XXe s. Une brève recherche sur Internet les trouve, apprentis, à l’école de la finesse et de la subtilité sous l’œil et l’oreille perspicace du pianiste Menahem Pressler dont chacun recueille les conseils avisés, de l’allusion la plus ténue, à l’ivresse accentuée, de l’intériorité à la gravité tendre. Il en résulte l’or de cette lecture, parmi les plus riches et troublantes qui soient. Ne serait-ce que le premier mouvement, – le plus intime et secret « Modéré », pièce si difficile au départ (aussi la plus longue du cycle) et déjà révélatrice de la sonorité et de l’expérience de tous les groupes. Le geste et le son de Zadig nous offrent l’une des meilleures lectures du Trio ravéllien.
Du modèle légué par Saint-Saëns, Ravel édifie une cathédrale de l’allusion la plus raffinée, entre tendresse et profonde blessure : piano éperdu et toujours murmuré, comme emperlé ; cordes aux intervalles orchestraux qui creusent l’onde et la résonance du souvenir et d’une mémoire comme ivre et endolorie.
Le Trio Zadig comprend tout autant la coupe propre à la poésie malaise, du second mouvement « Pantoum » : sorte de Scherzo aux pointes sardoniques et pourtant brillantes à la Scarbo… Idem pour la Passacaille (largo ample, noble et grave) et au panache revivifié, jamais artificiel. Ici, dans une proximité qui rappelle Ma Mère l’Oye, le geste en trio atteint à un dépouillement poétique d’une tendresse absolue. Enfin, la pulsion « basque » du Finale-animé (rythmes différenciés 5/4, 7/4) exalte davantage et de façon explicite la caractérisation pittoresque de ce dernier mouvement, plus mordant et plus lumineux que les deux qui l’ont précédé.
Comme pour démontrer le potentiel dramatique et rythmique de leur coopération à trois, les Zadig expriment toute la verve opératique et dramatique dès l’ouverture (synthèse) de Candide de Bersntein, puis dans la transcription d’après West side Story du même Bernstein : on ne saurait distinguer aujourd’hui meilleure complicité chambriste au sein de la nouvelle génération de musiciens. Volubiles, éloquents, en complicité subtile, les 3 instrumentistes Zadig éblouissent d’un bout à l’autre de ce programme passionnant.