Téléramaffff - On aime passionnément

Comment faisait-on voyager les œuvres au temps où l’enregistrement n’existait pas encore ? Par des transcriptions et des arrangements, qui permettaient à de petites formations (du pianiste soliste à l’orchestre de chambre en passant par le trio) de transmettre aux auditeurs, en modèle réduit, la substance essentielle des opéras aussi bien que des symphonies. S’il n’est plus conditionné par la nécessité, l’arrangement, quand il est bien fait, ne suscite aucune frustration et peut même rafraîchir nos oreilles en faisant ressortir des rythmes ou des couleurs que l’on discernerait moins aisément dans le grand orchestre.

En témoignent la succulente ouverture de l’opérette Candide (d’après Voltaire, comme il convient à un trio baptisé Zadig) et la fantaisie autour de West Side Story, transcrite pour l’une, arrangée pour l’autre, par le pianiste et compositeur Bruno Fontaine. Ces versions pour trio ne trahissent aucunement l’imagination du compositeur d’origine, Leonard Bernstein (1918-1990). On y perd quelques notes ? L’esprit est là, intact (et quelle tonicité dans la version chambriste de Tonight !), et les trois instrumentistes s’appliquent avec bonheur à restituer tout ce qu’il y a d’expérimental et d’inventif dans l’écriture de Bernstein l’Américain. Plus délicate et raffinée, celle du Français Maurice Ravel (1875-1937) ne manque pas non plus d’inventivité. Lui-même franco-américain (le pianiste Ian Barber est né à Denver, le violoniste Boris Borgolotto et le violoncelliste Marc Girard Garcia ont grandi à Toulouse), le Trio Zadig s’amuse à faire dialoguer les deux compositeurs par-delà l’Atlantique et les décennies, tissant entre eux des lignes ténues. Comme cet art de l’emprunt et du goût de l’ailleurs, que l’on retrouve aussi bien dans les rythmes afro-cubains de West Side Story que dans le deuxième mouvement, « Pantoum », du Trio en la mineur ravélien, qui lorgne délibérément l’Orient.

Entre ces deux univers musicaux, les Zadig en ont glissé un troisième, celui du compositeur Benjamin Attahir, qui a écrit à leur intention la bien nommée Asfar (« voyage », en arabe). Inspirée des aventures échevelées du Zadig voltairien, la pièce n’est guère reposante (rythmique puissante et ultra tendue, piano percussif et cordes résolues, rares moments d’apaisement où continue de filtrer une sourde angoisse), mais elle s’insère de manière étonnamment complémentaire entre Bernstein et Ravel.

- Sophie Bourdais